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« Des pieds, des mains et des étoiles pour danser »
Élyse, professeure de danse classique au conservatoire municipal. Quartier Centre-ville.
Propos recueillis le 11 mai.
« Cette période de confinement et de déconfinement n'est pas toujours évidente. Il y a tellement d'incertitudes, d'anxiétés ! Grâce à mes élèves, j'arrive à affronter tout ça. Depuis l'arrêt des cours, je m'occupe beaucoup de leur suivi pédagogique, par le biais de groupes WhatsApp que j'ai créés pour chacune de mes neuf classes, c'est-à-dire près de cent élèves. Je n'ai pas pu faire de vidéos ou de cours en visio car mon appartement est trop petit, mais une à deux fois par semaine, je leur envoie des vidéos d'entraînements spécial confinement, en provenance du monde entier mais surtout du Centre national de la danse (CND) de Paris. C'est magnifique de voir une danseuse étoile travailler à la barre !
J'ai aussi demandé à mes élèves de réaliser une vidéo d'une minute dans laquelle ils dansent. C'étaient des pépites de bonheur avec beaucoup de générosité et de créativité ! L'immobilité les a recentrés sur eux-mêmes et la danse leur a offert le plaisir de s'extérioriser, de s'exprimer. Une petite fille de 11 ans a dansé ce que nous vivons : la tristesse qui se transforme en joie, en précisant qu'il ne faudrait pas oublier les morts. C'était très émouvant.
Comme les cours ne reprendront pas avant septembre a priori, nous allons réaliser une sorte de ballet filmé en vidéo avec tous les élèves de danse du conservatoire et mes collègues professeurs. Il s'intitulera « Faire des pieds et des mains, pour danser » car seules ces parties du corps seront invitées à créer un mouvement. Ce sera en quelque sorte le gala de fin d'année que nous ne pourrons pas faire.
Pour finir, je suis admirative du corps médical, des éboueurs, des commerçants... de tous ceux qui ont travaillé au service des autres, en risquant leur vie.
À ma petite échelle, j'ai fait des courses pour plusieurs personnes âgées, des connaissances, ou des connaissances de connaissances. J'ai pris le temps de leur parler car l'isolement est dur, d'autant qu'on ne cesse de leur répéter qu'elles représentent une « population à risques » en raison de leur âge. Ces termes sont un poids de plus sur les épaules, ils sont stigmatisants, même si l'intention est de prévenir. Il faut davantage de délicatesse dans la façon de dire les choses. On peut avoir 80 ans et être une âme de 20 ans !
Découvrez la vidéo des danseurs de l'Opéra de Paris en confinement réalisée par Cédric Klapisch et celle de la danseuse étoile Dorothée Gilbert s'entraînant à la barre.
« J'irais revoir ma Normandie ! »
Laurent Zunino, 60 ans, artiste peintre. Quartier du Petit-Ivry.
Propos recueillis le 11 mai.
J'ai l'habitude d'être seul dans mon atelier face à une toile blanche, « confiné » toute l'année comme la plupart des artistes peintres ! Mais durant le confinement imposé, j'ai ressenti le besoin de peindre chaque jour une œuvre en lien avec la période particulière que nous traversions. Ça me tenait « debout » ! Je peignais selon l'humeur et l'inspiration du moment, des sujets en lien direct avec l'épidémie comme La jeune fille et la mort ou La chaise de la solitude (photo ci-dessous), mais je me plongeais aussi dans les souvenirs de mes épopées.
J'ai eu la chance de visiter pas mal de pays avec mon amoureuse au volant de ma petite bagnole : des bords de mer et des ciels, en Normandie ou en Afrique du Nord... J'ai peint aussi une vue d'Ivry de ma fenêtre, ou les fleurs qui ont miraculeusement poussé sur mon balcon... On redécouvre les petits bonheurs que l'on ne voyait plus, et ils sont merveilleux ! Ma dernière toile s'intitule J'irais revoir ma Normandie. C'est un clin d’œil à la chanson et à mon Cotentin natal même si j'ai aussi des origines italiennes.
Tous les jours, j'envoyais une toile à ma liste de contacts via Internet et Facebook alors que je ne suis pas très à l'aise habituellement avec ces réseaux. J'ai vraiment apprécié car j'avais des réactions sympas à mes tableaux. J'en ai même vendu, mais ma situation financière, comme celle de la plupart des artistes peintres, reste précaire. Nous n'avons pas le statut des intermittents du spectacle et les expositions que je devais faire ont été annulées. Mais peindre est mon bonheur ! C'est ma façon de m'exprimer et de correspondre avec les autres, même quand nous vivons une période immensément triste.
Je n'en suis pas certain mais j'ai l'espoir que cette pandémie nous fasse réfléchir. Elle nous rappelle que face à la maladie et à la mort, nous sommes tous vulnérables et égaux. Nous sommes de pauvres êtres humains, de passage sur cette Terre, et nous avons besoin de justice et de solidarité !
« Je ne sais pas si l’on pourra rouvrir. »
Walid, 50 ans, restaurateur « Chez Alain ». Quartier Centre-ville.
Propos recueillis le 11 mai.
« Nous avons fermé le restaurant le samedi 14 mars, à minuit. Je comprends la décision du gouvernement de confiner, parce que c’est pour notre santé. Mais cette décision a été brutale, et bien trop rapide je pense. Je voyais bien que cela se mettait en place dans des pays voisins, donc je m’y préparais, mais comme ça, du jour au lendemain… On s’est partagé les stocks de nourriture avec les autres salariés du restaurant et voilà.
Économiquement, c’est très difficile parce que nous n’avions que très peu de trésorerie. L’État nous a promis des aides, mais pour l’instant on n’a rien reçu et on a du mal à joindre des interlocuteurs. Notre bailleur n’a pas stoppé ses demandes de loyers, de même que la banque auprès de laquelle nous avons contracté un crédit. Elle continue aussi à nous faire payer le forfait pour le terminal de carte bancaire. Elle nous explique qu’elle ne peut pas le stopper. En tout cas, je préfère continuer à payer mes salariés plutôt que payer mes charges, ce que je pourrais faire plus tard, parce qu’eux aussi ont une famille à nourrir, des factures à payer.
Un client a ouvert une cagnotte Leetchi pour notre restaurant. Ça fait chaud au cœur et c’est un soutien moral très important pour nous. C’est un geste incroyable, qui montre la solidarité de nos clients, et leur attachement à notre restaurant. L’un d’eux, un fidèle depuis le premier jour, a même versé 1 000 € ! Mais même quand ce n’est que quelques euros, le plus important c’est le geste et ça nous touche. Avec cette somme, on va pouvoir payer deux mois de loyers en retard et ça nous servira pour racheter de la nourriture quand on rouvrira. On espère le faire en juin, mais si on ne peut accueillir que dix personnes à cause des mesures barrières, ce ne sera pas rentable. Et puis je ne vois pas comment je pourrais faire respecter les distances entre le cuisinier et le commis… Il faudrait pouvoir compter sur la terrasse. Peut-être que la mairie ne nous fera pas payer les droits de terrasses cette année. Je vais essayer de faire de la vente à emporter d’ici quelques jours. On verra si ça fonctionne…
Honnêtement, je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait pour nous, et si l’on pourra rouvrir. On voit déjà une deuxième vague du virus dans les pays qui ont levé le confinement. Tout va dépendre de sa durée pour les restaurateurs français. Si ça dure encore longtemps… Chez Alain, c’est une aventure collective débutée en 2009. Si on devait le fermer ou si je devais licencier du personnel... Je n’y retourne plus depuis plusieurs jours, même pour aller chercher le courrier, ça me fait trop mal au cœur. »
« On ne s’attendait pas à avoir autant de monde pour la réouverture ! »
Laure et Juliette, propriétaires de la boutique Pop ma chérie. Quartier Louis-Bertrand.
Propos recueillis le 12 mai.
« Après deux mois de confinement, nous avons rouvert ce mardi 12 mai, au matin. Mais c’est en fin de semaine dernière, quand nous sommes revenues pour commencer à ranger et préparer la boutique, que l’on s’est dit "Enfin !" Là, depuis l’ouverture nous n’avons pas eu le temps de réfléchir, car nous avons déjà eu une quinzaine de clients. On ne s’attendait pas à avoir autant de monde ! Les clients nous disent qu’ils étaient impatients de revenir. Ça nous fait plaisir et c’est un soulagement.
On demande à nos clients de venir masqués, comme nous le sommes, et avant de rentrer, ils doivent se laver les mains au gel hydroalcoolique fourni à l’entrée du magasin. La boutique a été balisée avec un parcours fléché. Bon, ce n’est pas toujours évident de faire respecter les mesures barrières… Heureusement, la boutique est assez grande pour que les gens ne se croisent pas.
On a compris la décision des autorités de confiner, pour la santé des gens. Après, la façon dont la crise a été gérée… En tout cas, il était temps que l’on puisse rouvrir. Dans les petits commerces, c’est toujours tendu même quand on a un peu de trésorerie, alors une fermeture de deux mois, c’est long et ça fait très mal. Il a fallu continuer à payer le loyer, l’électricité, les abonnements pour le service d’alarme, pour le logiciel de gestion… Pendant cette période, on a fait en sorte que nos clients puissent acheter par Internet (via un site de soutien aux commerçants et artisans) des bons d’achats valables à la réouverture. On a été étonnées et ravies que cela marche autant. Ça nous a permis de payer l’équivalent d’un mois de loyer.
L’empathie des gens nous a fait beaucoup de bien car cela a été une période éprouvante. Se sentir enfermée et inutile, et voir deux mois de chiffres d’affaires s’envoler, c’était très dur ! Nous avons d’ailleurs une pensée pour les restaurateurs et les cafetiers qui n’ont pas encore pu reprendre leur activité. Sans parler de tous ceux qui travaillent dans la culture, le tourisme… »
Pop ma Chérie, 43 avenue Danielle Casanova. Popmacherie.fr / Facebook @popmacheriesarl