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« C’est un sacré pataquès gouvernemental d’avoir décidé de remettre les enfants à l’école. »
Olivier, 43 ans, manager d’une boutique de vins et spiritueux à Paris IIIe. Quartier Louis-Bertrand.
Propos recueillis le 26 mai.
« J’ai repris le boulot le 11 mai. Auparavant j’étais en chômage partiel, à la maison, où ma compagne télétravaille. On a la chance d’être dans un trois-pièces, donc de pouvoir s’isoler. Nous ne sortions que très peu, deux fois par semaine pour les courses, avec des masques cousu-main. Je m’occupais de la cuisine et de faire les devoirs avec notre fille de 8 ans.
On recevait les devoirs chaque jour et on y consacrait la matinée. C’est une super aventure de suivre les progrès de son enfant, mais professeur c’est un métier, donc au bout de deux mois ça patine… Il y a besoin d’être moteur car il n’y a pas d’émulsion de groupe comme à l’école.
À Ivry, durant les dernières semaines du confinement, on a rencontré d’autres parents et enfants, car ça manquait beaucoup à ces derniers. On s’est vu dans la rue, en maintenant au moins les distances de sécurité entre adultes.
Mon activité professionnelle a repris avec beaucoup d’effervescence. Je suis caviste, donc le fait que les bars et restos soient fermés… Le malheur des uns fait le bonheur des autres. On a cartonné, avec de très bonnes journées. Mais c’est tout de même un équilibre précaire, on ne sait pas du tout ce qui peut se passer dans un avenir proche. Il suffit qu’un collègue attrape le coronavirus et toute la boutique sera en quarantaine.
C’est quand même un sacré pataquès gouvernemental d’avoir décidé de remettre les enfants à l’école pour que les parents retournent travailler… D’autant que c’est pas vraiment de l’école mais une sorte de garderie ultra-disciplinée en raison des mesures sanitaires. C’est totalement fou.
Même si nous avions pu remettre notre fille à l’école, on ne l’aurait pas fait. Nous devions reprendre le travail donc on l’a envoyé chez son grand-père, en Basse-Normandie.
Plein de gens vont souffrir de cette situation, on est dans l’expectative. À chaque jour suffit sa peine. »
« Le vrai socle, c’est le service public. »
Delphine, 41 ans, cadre socio-éducatif dans un établissement médico-social à Saint-Mandé. Quartier Marat-Parmentier.
Propos recueillis le 26 mai.
« Je n’ai pas vraiment connu le confinement puisque je travaille douze heures par jour, de 8h à 20h, auprès de personnes handicapées dont il faut assurer la sécurité sanitaire tout en leur proposant des activités, en assurant les repas midi et soir et en tâchant de les rassurer… ce qui a été très compliqué à l’apparition des premiers cas de Covid dans l’établissement, avec le risque accru de mortalité chez nos usagers.
Surtout qu’au regard du nombre restreint de places en réanimation, les hôpitaux nous ont fait comprendre que les personnes valides étaient prioritaires…
Nous avons dû monter une unité médicale Covid en interne pouvant accueillir jusqu’à huit personnes suspectées d’avoir le virus. Heureusement, ça a suffit.
Nous avons eu deux morts du Covid au sein de notre structure, sur 130 personnes en internat. Moi-même, je l’ai chopé au bout de trois semaines et ça a été reconnu comme maladie professionnelle. J’ai eu peu de symptômes mais je me sentais très fatiguée. J’ai été arrêtée huit jours, soit le minimum pour le personnel hospitalier – nous relevons de la fonction publique hospitalière. Durant mon confinement, j’ai bénéficié d’un très bon suivi téléphonique par l’APHP mais la reprise fut plus difficile que prévu du fait de la fatigue accumulée et de celle occasionnée par le Covid.
Depuis le déconfinement, on accueille à nouveau les usagers qui ne sont pas en internat, qui étaient resté chez eux et qu’on appelait régulièrement. Ils sont très contents de revenir car le handicap isole, et les établissements médico-sociaux sont des lieux de sociabilisation essentiels à leur quotidien. D’ailleurs, ce qui était insupportable durant le confinement, c’est qu’on parlait des hôpitaux et des Ehpad mais absolument pas des personnes handicapées et des établissements médico-sociaux !
Dans mon établissement, il y a eu une très belle mobilisation de l’ensemble du personnel. Par contre, pendant cette période, on n’a été que très peu aidés par le gouvernement et l’Agence nationale de santé. Les recommandations des autorités de santé ou du secrétariat d’État au handicap sont arrivés bien trop tard, heureusement qu’on ne les a pas attendu pour prendre nos propres décisions !
La pénurie de masques et les discours mensongers à ce sujet ont été très mal reçus. L’équipement approprié, genre masques FPP2, n’arrive que maintenant ! On a donc dû s’équiper au fur et à mesure, s’exposant de fait au virus.
Je ne suis malheureusement pas très optimiste pour la suite. Ce qu’il s’est passé devrait faire comprendre que ce n’est pas le gouvernement qui a géré les choses mais les services hospitaliers de terrain qui ont su s’organiser. Le vrai socle, c’est le service public. Au delà de mon secteur d’activité, cela doit être l’opportunité de remettre en question nos modes de consommation et notre modèle économique qui a fait la preuve de sa défaillance.
Il faut revaloriser tous ces métiers sous-payés qui sont pourtant essentiels à notre quotidien, et pas seulement dans le secteur de la santé : les éboueurs, les caissières, les agents d’entretien qui empêchent la propagation du virus dans les transports comme en milieu hospitalier… »
« J’ai participé à préparer les colis alimentaires, l’ambiance était vraiment sympa. »
Farid, 39 ans, responsable de la boutique GMT94. Habitant du Kremlin-Bicêtre.
Propos recueillis le 26 mai.
« Pour moi, apporter mon aide, c’est tout naturel. J’œuvre dans une structure, l’association GMT 94*, qui a ça dans son ADN ! Au début du confinement, j’ai cherché à aider en m’inscrivant sur un site dédié, en me mettant à dispo avec ma moto ou auprès d’associations. Et puis Jean-Pierre, un bénévole du team GMT également agent municipal à la ville d’Ivry, m’a parlé des préparations de colis alimentaires.
Du 16 avril au 13 mai, une fois par semaine au garage municipal d’Ivry, avec une vingtaine de bénévoles et agents communaux, j’ai participé à trier l’épicerie et les légumes reçus et à préparer les colis. Ils étaient ensuite redistribués via les Maisons municipales de quartier ou les associations de solidarité. L’ambiance était vraiment sympa. Cet investissement m’a, au niveau personnel, apporté de la satisfaction, celle d’être utile. Je referai ça avec plaisir. Merci de m’avoir permis d’être là !
*écurie moto inscrite en Supersport, fondée et managée par l’Ivryen Christophe Guyot
« On devient dépendant de cette médiatisation de l’épidémie, ça nous bouffe le crâne. »
Raymonde, 88 ans, retraitée. Quartier Centre-ville.
Propos recueillis le 26 mai.
« Au début du confinement, on a pris les infos telles qu’elles nous ont été communiquées et j’ai réagi de façon disciplinée. Il y a eu une grande affection autour de moi : mes enfants, mes petits-enfants, mes proches, le voisinage… car le fait que je sois catégorisée parmi les personnes vulnérables a fait peur à tout le monde, y compris à moi-même.
Je n’ai pas manqué d’aide et d’affection, mais je me suis senti très rapidemment dépendante : tu te fais livrer tes provisions, il ne faut pas sortir… Ça m’a géné et fragilisé alors que je suis indépendante ! On devient dépendant de cette médiatisation de l’épidémie, ça nous bouffe le crâne.
La troisième semaine, je n’étais vraiment pas bien, donc j’ai décidé de sortir, tôt le matin, pour m’aérer. D’autant que j’avais sorti ma machine à coudre et fait des masques – puisqu’il n’y en avait pas – pour mes proches et moi. Quoique les masques, c’est avant qu’il en fallait !
Quand le déconfinement arrive, je suis déglinguée, j’ai des malaises, j’ai peur d’aller chez le dentiste… Ce n’est pas brillant du point de vue de l’impact sur ma santé. Je me sentais une femme de caractère, mais là, faire quelque chose me fiche la frousse, je me sens plus fragile. Mon médecin m’a dit de ne pas m’inquiéter, mais nous les vieux, à force qu’on nous rabâche que l’n est vulnérables, on l’est devenu.
Le déconfinement n’est pas clair. L’inquiétude reste. Sur le plan national, je déplore toute cette politique d’incertitudes pour gérer un problème aussi grave. La cacophonie autour des masques, ce tissu de mensonges que l’on a entendu est lamentable. Ça participe aux angoisses mais ça déclenche surtout ma colère, ce qui a participé à me maintenir en état.
En revanche, il faut réaliser à quel point la situation a été prise en charge par le service public et la Ville d’Ivry. J’ai senti une présence de la municipalité : elle a été sur tous les fronts, à la hauteur des besoins et problèmes des différentes catégories de la population, palliant à l’insuffisance nationale. Des fois j’ai des réserves sur l’action municipale, mais pas là ! Chapeau ! »