Un peu voûté, une canne à la main, le pas décidé malgré les ans. Cheveux gris, grosses lunettes et sourire franc, à 84 printemps Claude Wiéner n'a que le temps de s'occuper de ses semblables. Prêtre, enseignant retraité, bénévole au Collectif lvry-Sdf où il donne des cours d'alphabétisation, écrivain public au Secours populaire et membre du Collectif des morts de la rue, voilà un être épris de justice dont le sacerdoce est de vivre au travers des autres.
« Etre prêtre aujourd'hui, c'est se tenir devant Dieu en solidarité avec les personnes que l'on rencontre tous les jours et travailler à ce que le monde aille un peu moins mal. On pourrait dire la même chose d'un militant communiste, à la seule différence que ce dernier aurait du mal à se tenir devant Dieu... », dit-il avec malice dans un documentaire réali sé par l'lvryenne Isabel de Bary.
Né en 1922 à Paris, il a su tôt que sa vie serait dédiée au combat pour la dignité humaine. Lorsqu'en 1943, il est appelé pour le Service du travail obligatoire en Allemagne, il rejoint sans hésiter l'Union des étudiants patriotes résistants. En octobre 1944, il intègre le séminaire « parce qu'il rêvait de devenir prêtre ouvrier comme ses copains ».
Après cinq ans d'études, il est ordonné et enseigne jusqu'en 1967 la Bible, « un livre riche d'humanité pour nourrir sa vie, être présent au monde et non se renfermer ». A Bobigny, il enseigne vingt ans durant à des jeunes du milieu ouvrier. En 1972, il entre à la faculté catholique de Paris où il est professeur d'histoire de la Bible. C'est là qu'il se syndique et négocie une convention collective pour sa corporation. Quinze ans après, c'est la retraite et l'arrivée à Ivry : « Je suis passé de la rue Karl Marx de Bobigny à la rue Maurice Thorez d'Ivry ». Transition somme toute logique... Prêtre à mi-temps de la paroisse locale, il est aussi défenseur prud'homal.
Successivement aumônier puis délégué à l'œcuménisme du diocèse de Créteil, il démarre ses activités au Secours populaire en 1988. De 2002 à 2005, il préside le Collectif des morts de la rue, qui accompagne dans la dignité les personnes décédées dans la rue, ainsi que celles abandonnées. Présents aux convois mortuaires jusqu'au Carré des indigents du cimetière de Thiais, dans le cadre d'une convention avec la ville de Paris, des bénévoles du Collectif lisent un texte, se recueillent, déposent une fleur. Deux célébrations (laïque et inter religieuse) ont lieu pour honorer les personnes mortes de et dans la rue. Deux fois l'an, un faire-part avec leurs noms est envoyé aux élus et médias. Juste pour alerter la société sur la façon dont vivent et meurent des gens aujourd'hui. Vies impossibles, morts improbables.
« Le caritatif ne se suffit pas à lui-même. Il prodigue un minimum pour la survie des individus, mais n'efface pas la responsabilité collective. Je ne suis pas pessimiste, je crois en l'Homme, en la solidarité, les rencontres, la compréhension. Il y a finalement peu de gens qui ne croient en rien. Même les athées croient en l'avenir, la famille, le progrés. » Quand l'intelligence du cœur rejoint celle de la raison.
Sheidia Kerouani-Badja
Cet article est paru dans le magazine Ivry ma ville en septembre 2006.
Un film sur Claude Wiéner
En 2006, l’ivryenne Isabel de Bary avait réalisé un documentaire de 23 minutes intitulé "Claude Wiéner, être prêtre". À travers son témoignage, elle l’interrogeait sur les formes de l’engagement et montrait sa pratique généreuse et politique. Claude Wiéner avait présidé le Collectif des Morts de la rue de 2001 à 2003. Produit par Gérard Paris-Clavel, le film a été diffusé par l’association ivryenne « Ne pas plier ». Il est disponible en DVD (demander à nepasplier@nepasplier.fr ). Voir un extrait ci-dessous.
Claude Wiéner, être prêtre from Ne Pas Plier on Vimeo.