Ce soir-là, vingt-six chanceux, tout ouïe, se sont sentis devenir, au fil de la conférence, de plus en plus intelligents. D’une voix douce et chantante, avec des mots compréhensibles de tous (comme dans ses livres !*), la philosophe Jeanne Burgart-Goutal a raconté les fondements historiques, les différentes pensées et les multiples pratiques de l’écoféminisme.
Cette mouvance est née dans les années 1970 sous la plume de Françoise d’Eaubonne, l’une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes (MLF)... qui n’hésitait pas à poser des bombes dans la future centrale de Fessenheim pour empêcher sa construction ! Elle postule que la destruction de la nature et l’oppression des femmes sont deux facettes indissociables d’un modèle de civilisation qu’il est temps de dépasser, celui du patriarcat capitaliste…
TROIS QUESTIONS À JEANNE BURGART-GOUTAL
Ivry ma ville hebdo : À quoi sert l’écoféminisme ?
Jeanne Burgart-Goutal : Dans l'écoféminisme, il y a l'idée de voir comment les discriminations s'articulent, de voir s'il est possible de lutter contre les clivages, les discriminations, les injustices. Ce prisme d'analyse - même si ce n'est pas le seul- est intéressant.
Par ailleurs, l’écoféminisme ouvre un horizon politique et une alternative possible à ce qui semble être la marche du monde. Il a toujours eu et garde une fonction de résistance. Et résister aux forces destructrices qui font l'Histoire, c'est une question vitale !
Ivry ma ville hebdo : Êtes-vous vous-même « écoféministe » ?
Jeanne Burgart-Goutal : Je n'adhère pas aux convictions dans lesquelles certains sautent à pieds joints ! Je garde ma distance de philosophe. L'écoféminisme m'a transformée, mais plein de trucs dedans me paraissent « bidons ».
À un moment, j’avais beaucoup de fascination pour les communautés alternatives. Mais toutes les expériences que j'ai faites - pendant plusieurs mois, j’ai même vécu d’une façon radicalement écolo avec un survivaliste dans les collines de Provence ! - ne m'ont pas paru mieux que la vie réelle : ces lieux étaient aussi plein de conflits interpersonnels.
Les choix marginaux continuent de me fasciner, en même temps ils me paraissent un peu comme une impasse. J'ai fait le choix de revenir vivre en ville. Mais je n'ai pas de voiture, pas de smartphone, je n’achète pas d'habits neufs depuis dix ans !
Ivry ma ville hebdo : Vous ne vous revendiquez pas « écoféministe » mais vous en appliquez des « principes » ?
Jeanne Burgart-Goutal : Mon engagement, c'est d'être au cœur de l'Éducation nationale dans les quartiers Nord de Marseille ! J’enseigne la philosophie dans deux lycées technologiques. Dans mon enseignement, j’ai appliqué des transformations imprégnées par mes recherches sur l'écoféminisme, pour, par exemple, pouvoir évaluer mes élèves en parasitant les mécanismes de tri social, de concurrence, etc. J’ai même essayé de supprimer les notes !
En Normandie, où j’enseignais avant, j’avais monté un potager au sein de l’établissement. Je cherche toujours à créer des liens : là, je rêve d’emmener mes élèves, qui vivent dans des cités, rencontrer des gens que je connais, qui vivent en yourte dans un coin de forêt, à quelques kilomètres !
Propos recueillis par Clara Delpas.
* Ses livres :
Être écoféministe, théories et pratiques, 2020, Ed. L’échappée (essai).
ReSisters, avec Aurore Chapon, 2021, Ed. Tana (roman graphique).