IMV Hebdo : Vous venez présenter Les Promesses au cinéma municipal Le Luxy. Est-ce d’autant plus important pour ce film qui s’intéresse à la politique locale d’une ville de banlieue parisienne ?
Reda Kateb : La plupart des films que je fais, j’essaie de les présenter au Luxy, parce qu’il y a une continuité dans mon histoire entre l’ouvreur, le caissier ou le projectionniste que j’ai été dans cette salle, et qui rêvait de faire du cinéma, et l’acteur que je suis aujourd’hui. C’est aussi l’occasion de recroiser des gens que je n’ai pas vus depuis longtemps. Ma mère était infirmière au Centre municipal de santé qui se trouve juste en face. Il m’est souvent arrivé de retrouver dans ces projections-débats certains de ses collègues. C’est un moment de reconnexion avec mes racines ivryennes. Et particulièrement avec ce film qui entre en résonnance avec ce que j’ai pu connaître de la ville d’Ivry et ce que je connais de Montreuil où je vis désormais. Ces mairies où des gens, avec des moyens limités, donnent un sens à une forme de fraternité, de solidarité, d’entraide. Ce mot tellement galvaudé de vivre-ensemble, je l’ai ressenti à Ivry, je le ressens à Montreuil. C’est l’air que j’aime respirer.
IMV Hebdo : Le personnage que vous incarnez, Yazid, est le directeur de cabinet de la maire jouée par Isabelle Huppert. Comment l’avez-vous abordé ?
Reda Kateb : Je l’ai abordé comme chaque rôle : par la partition qui est écrite, par le regard du metteur en scène [Thomas Kruithof, NDLR]. En l’occurrence, c’est un personnage ambitieux, qui a réussi mais qui porte un engagement auquel il reste fidèle. Dans le film, il passe son baptême du feu en allant chercher des subventions pour la rénovation de la cité où il a grandi. C’est un transfuge social qui s’extrait d’une condition pour accéder à une autre mais sans renier d’où il vient et sans s’encombrer de culpabilité vis-à-vis de sa réussite. Rien ne lui est interdit dans son parcours.
IMV Hebdo : Vous n’êtes pas ce personnage, bien sûr, mais vous sentez-vous aussi comme un transfuge social ?
Reda Kateb : Non pas vraiment. Mais oui, d’une certaine manière, puisque j’ai été extrêmement précaire et qu’aujourd’hui, je ne le suis plus. Même si ça se passe bien pour moi dans mon métier, rien n’est acquis. Je suis toujours dans une forme d’aventure, qui est moins pénible aujourd’hui, dans laquelle j’ai beaucoup de chance et de possibilités de me déployer. Mais dans deux ou trois ans.. ? Le statut des artistes est d’être toujours sur la brèche. Et puis il faut se prémunir du confort. Il faut rester à l’affût et ne pas s’asseoir sur ses acquis. Pour moi, Yazid, c’est vraiment un personnage et ce n’est pas moi. Mais on m’a beaucoup posé la question de ce rapprochement pendant la promotion du film en effet.
IMV Hebdo : Si on vous pose cette question, c’est sans doute parce que vous avez grandi à Ivry, non ?
Reda Kateb : J’ai beaucoup rendu hommage à ce que j’ai pu recevoir dans mon enfance, ma jeunesse à Ivry et qui a compté dans mon parcours. Et justement dans le fait que je ne me sois rien interdit. Il y a des ouvertures qui m’ont été données et que je n’aurais certainement pas eues si j’avais grandi à Levallois, par exemple. Ça a beaucoup été les vacances, les colonies, les voyages comme celui que j’ai fait grâce à la Ville au Burkina Faso quand j’avais 16 ans. Quant à l’accès à la culture, je ne vais pas me mentir : avec un père comédien et une mère qui m’encourageait à aller aux ateliers d’arts plastiques ou de théâtre, j’avais à la maison des parents qui m’ont ouvert très tôt à ce monde-là. C’est plus l’accès matériel à des activités que m’ont permis les services municipaux. Je ne vais pas me lancer dans un manifeste à la gloire des mairies communistes d’Ivry ou de Montreuil, même si c’est ce que j’ai pu faire dans les médias lors de la promotion du film, parce que ça m’a paru important. Moi mon rapport à Ivry, c’est vraiment mon rapport à mon enfance, à ma jeunesse. C’est une histoire de vécu dans lequel je me souviens d’un bouillonnement : je prenais des cours au Théâtre des Quartiers d’Ivry, j’étais ouvreur et projectionniste au Luxy, j’avais mes cours de théâtre au lycée Romain Rolland… Pour moi, dans ce petit triangle ivryen, ça bouillonnait ! Et Ivry a été pour moi un refuge même quand j’avais la trentaine. Ce n’est pas seulement le lieu dans lequel j’ai grandi, c’est aussi un lieu qui protège.
IMV Hebdo : Avez-vous l’impression que les rôles qu’on vous propose sont de plus en plus diversifiés ?
Reda Kateb : Oui, complètement ! Le virage, ça a été Hippocrate [2014], où je jouais un médecin après avoir interprété pas mal de voyous. Depuis, l’éventail s’est ouvert. Je choisis mes rôles sur la qualité des histoires, des scénarios que je reçois. Mais là, je vais rejouer dans peu de temps un grand bandit et j’en suis très content. Je ne cherche pas à jouer des personnages fréquentables socialement. Je cherche des personnages riches, de beaux personnages. On peut s’enfermer dans le rôle du « bad guy » [méchant, NDLR] comme dans celui du « good guy » [gentil ; NDLR]. J’essaie de me renouveler tout le temps.
IMV Hebdo : Quels sont vos projets actuels ?
Reda Kateb : J’ai tourné un film de Rachid Bouchareb dans lequel je joue le grand frère de Malik Oussekine [étudiant tué par des policiers lors d’une manifestation le 6 décembre 1986 et ont le nom a été donné à un rond-point d’Ivry, NDLR]. Le film se passe la semaine qui suit son assassinat. Il sortira à la rentrée. C’est un film de mémoire mais qui est aussi beaucoup dans l’intime. De mai à juillet, je pars en Algérie pour le tournage d’Omar la fraise, où j’incarne le rôle-titre, celui d’un gros trafiquant en cavale. En gros pour résumer, c’est comme si dans Scarface, Tony Montana était retourné à Cuba plutôt que de se faire buter [rires]. Et puis j’ai un projet avec un réalisateur danois…
Propos recueillis par Thomas Portier
Projection-rencontre de Les Promesses de Thomas Kruithof en présence de Reda Kateb le 21 février à 20h au cinéma Le Luxy.