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L'actrice Marina Vlady dans son appartement ivryen. © Mairie d’Ivry-sur-Seine - Marie-Pierre Dieterlé

Ivry Ma Ville Hebdo : En 1962, vous êtes une jeune actrice de 23 ans. Pourquoi participiez-vous à la manifestation parisienne contre la guerre en Algérie le 8 février 1962 ?

Marina Vlady : À cette époque, j’étais déjà très engagée politiquement, j’ai toujours été à gauche. J’avais tourné beaucoup de films en Italie où les réalisateurs étaient alors tous communistes et je participais à beaucoup de manifestations avec eux à Rome.  Ils m’avaient appris à mettre du journal dans mon bonnet pour amortir les coups de matraque. Quant à mon père, un russe anarchiste qui avait migré en France en 1915, il m’avait fortement transmis les valeurs antiracistes, la défense des faibles et des opprimés. Le 8 février 1962, à Paris, nous manifestions pour la paix en Algérie et contre l’OAS [Organisation de l’Armée secrète, opposée à l’indépendance de l’Algérie] qui commettait de nombreux attentats frappant des innocents, comme celui du 7 février 1962, où une petite fille avait été défigurée. La manifestation du 8 février était une réaction populaire, organisée par des formations politiques et syndicales de gauche. Nous étions des milliers à défiler et à scander « OAS assassins ! ». Comme de nombreux militants, je savais que c’était bien une guerre civile, terrible, qui se déroulait en Algérie. De jeunes appelés en revenaient détruits moralement et psychiquement. Ils nous en racontaient les atrocités, la torture.

Ivry Ma Ville Hebdo : Avez-vous été témoin de la répression sanglante ?

Marina Vlady :  La manifestation était pacifique mais vers la fin, un mur de policiers casqués et armés s’est placé en tête du cortège et a avancé vers nous en nous tapant avec des matraques. Nous étions boulevard Voltaire [XIème arrondissement de Paris]. Il y a eu un mouvement de panique, la foule s’est mise à courir. Le cinéaste Louis Daquin m’a d’abord entraîné vers un porche où il y avait déjà trop de monde. Puis je me suis alors mise à courir et le sol s’est dérobé sous moi. Je suis tombée avec d’autres dans les escaliers de la bouche du métro Charonne. Nous étions des dizaines, les uns sur les autres. Les policiers ont arraché les grilles en fonte qui étaient au pied des arbres pour les lancer sur les manifestants avec une volonté de violence totale. C’était atroce, un cauchemar ! J’ai eu tellement peur que j’ai réussi à m’extirper des corps entremêlés et à sauter par-dessus les portes automatiques qui donnaient accès aux quais. L’atmosphère était saturée de gaz lacrymogènes. Avec quelques-uns, nous sommes entrés haletants, hagards dans une rame du métro. Nos vêtements étaient déchirés. Les passagers nous regardaient, ahuris, sans savoir que nous revenions de l’enfer. C’est après que nous avons su qu’il y avait eu neuf morts.

Ivry Ma Ville Hebdo : Soixante ans plus tard, est-ce important de commémorer cet événement ?

Marina Vlady :  Oui, c’est très important de rendre hommage aux victimes. Elles étaient venues protester contre la guerre en Algérie et elles ont trouvé la mort. Et puis, il faut continuer à porter un discours de fraternité et solidarité avec les opprimés. J’étais très jeune, naïve et exaltée alors. J’ai pris beaucoup de risques pour arrêter cette guerre épouvantable. Je faisais partie des porteurs de valise qui soutenaient le FLN [Front de Libération Nationale, qui se battait pour l’indépendance de l’Algérie]. J’ai caché chez moi Francis Jeanson, un homme recherché alors par toutes les polices de France. Mais j’ai été très déçue car, après l’indépendance, la démocratie n’a pas été instaurée en Algérie.

Ivry Ma Ville Hebdo : Militez-vous toujours aujourd’hui ?

Marina Vlady : Je suis très attentive à la cause des femmes et à la défense du droit à l’avortement. Avec mon mari Léon Schwartzenberg [célèbre cancérologue aujourd’hui disparu], l’abbé Pierre et quelques autres, nous avons été les premiers à nous engager aux côtés du DAL, l’association « Droit au logement » dans les années 90, et je le suis toujours. Je milite aussi pour que le cinéma imagine des rôles intéressants pour les femmes de mon âge car à 83 ans, nous pouvons encore avoir une passionnante vie intellectuelle, sentimentale… !

Ivry Ma Ville Hebdo : En 1962, vous êtes une actrice en pleine ascension, égérie du cinéma français et italien. Vos engagements ont-ils pu peser sur votre carrière ?

Marina Vlady : J’ai beaucoup travaillé mais mes engagements ont peut-être freiné certains metteurs en scène. Cependant, en 1963, un an après Charonne, j’ai reçu le prix d’interprétation féminine au festival de Cannes pour le film franco-italien « L'Ape Regina » de Marco Ferreri, maladroitement traduit en français par « Le lit conjugal ». En italien, « Ape regina » signifie « La Reine des abeilles ».

Propos recueillis par Catherine Mercadier

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