« Je suis né et je suis mort en même temps. Donc j’ai eu l’extrême-onction direct ! C’est un bon début. » Déclaré mort à la naissance, heureusement réanimé, Rémy Tarrier en a peut-être hérité la capacité d’imbriquer drame et comédie. « Tout en mettant le doigt où ça fait mal, j’essaye d’apporter un peu de distance, de faire sourire. »
L’exemple est flagrant avec sa chanson Joyeux Noël, reprise par son ami Allain Leprest. « Quand t’es tout seul avec le sapin que t’as fait pour ton môme et qu’il n’est pas là, il faut relativiser en trouvant matière à sourire, résume Rémy. La chanson peut être d’un grand réconfort. Elle peut réunir. S’il n’y avait plus de chansons, ça ferait un vide. »
De fait, dans la vie du gamin « mort-né » qui grandit à Asnières puis Gennevilliers, les chansons chassent la morosité.
« Mon père avait connu les cinémas où des chanteurs se produisaient à l’entracte, et il avait une bonne mémoire. Tourneur-fraiseur et militant communiste, il interprétait des saynètes engagées dans les bistrôts. Aux repas de famille, ça chantait beaucoup. Là, je voyais ma mère s’illuminer. Elle travaillait dur dans une biscuiterie et se tapait en plus tout le boulot à la maison. On passait les disques de Brassens, Montand, Piaf et les humoristes comme Jean Yanne. Le premier disque que j’ai acheté avec mes économies, c’était Johnny, puis Dutronc, Pierre Perret, Bécaud, Nougaro, Gainsbourg... Pour moi, la chanson française était un tout. »
À l’adolescence, Rémy lit Boris Vian, Queneau, Pierre Dac - « Un mélange de poésie et de déconnade » - et compose poèmes comme chansons. « Dès que j’ai écrit des chansons, je les ai chantées. Mon ami de lycée Alain Sachs m’a envoyé au cabaret Chez Georges, où j’ai découvert des gens qu’on n’entendait pas à la radio, comme Gilles Elbaz. Je me suis beaucoup produit au Pétrin, un cabaret autogéré rue Mouffetard. Le soir, tu pouvais y tester une chanson écrite dans l’après-midi. Mais je bossais à côté dans l’intérim vu que j’avais aucune qualification : des emplois de bureau, des chantiers… »
En 1975, Thiéfaine, croisé au Pétrin, lui propose de faire ses premières parties. Et, fin 1979, il rencontre Allain Leprest au Bateau-Ivre.
« J’ai pas été emballé tout de suite, avoue Rémy à propos de son ami, disparu en 2011. Puis la richesse de ses textes m’a embarqué. Il savait trouver les images percutantes qui résonnent profondément chez l’auditeur. Et une grande générosité, un amour des gens. La dernière fois que je l’ai vu, c’était au café de la mairie. Même s’il traversait la maladie, il s’inquiétait des autres. Il m’encourageait à continuer de vivre car je venais de perdre mon épouse. Il m’a demandé ma chanson J’aime les frites, alors je lui ai chanté à l’oreille et il était mort de rire. Donc j’en ai un dernier souvenir joyeux, à cœur ouvert. »
Match retour
En 1982, Vogue sort la chanson d’amour de Rémy Il n’y aura pas de match retour pour « faire un coup » à l’occasion de la coupe du monde de football. Or le label ne tient pas sa promesse de lui faire enregistrer trois albums… Dépité, il se tourne vers l’écriture de sketchs pour la télévision (La Classe, Bouvard & Compagnie puis Les Guignols de l’info) avant de devenir scénariste pour des séries telle Plus belle la vie. « Grâce aux économies engrangées, j’ai pu enregistrer des chansons que je trimballais depuis 30 ans. Ça m’a donné envie de les chanter sur scène, et d’en faire d’autres. »
Son nouvel album, Cet enfant qui n’a pas d’âge, invite des amis (Armelle Dumoulin, Olivier Philippson, Eric Guilleton…) à interpréter ces chansons à la verve tendre et cinglante. Citons Mon gilet jaune qui narre l’histoire d’amour entre une journaliste de BFMTV et un gilet jaune, Plouf et glouglou sur la tragédie des migrants en Méditerranée, Va te faire voir chez les geeks sur la frénésie des smartphones ou l’hilarant Que faire pour les riches ? (« à part tout leur prendre »).
Avec six albums ces huit dernières années, Rémy Tarrier l’a finalement gagné son match retour !
Daniel Paris-Clavel
Les albums de Rémy Tarrier sont disponibles à la librairie Envie de lire, à la médiathèque et sur remytarrier.com.
Minibio
1951 : naissance à Suresnes.
1982 : 45T Il n’y aura pas de match-retour.
1991 : s’installe à Ivry.
2013 : double album Dernières nouvelles du fond.
2015 : album Au cas zou.
2017 : album Flâner.
2019 : album État des lieux.
2020 : album Allons-y en chantant.
2021 : double album Cet enfant qui n’a pas d’âge.
Exergue : « La chanson peut être d’un grand réconfort. C’est une main sur l’épaule. »