Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce manifeste ?
Mirabelle Rousseau, metteuse en scène : À l’université, beaucoup de mes étudiants sont dans des mouvements écologistes radicaux comme Extension rébellion. Ces jeunes sont prêts à aller très loin pour que cessent certaines pratiques industrielles, sur les animaux notamment. Il nous a semblé - qu’aussi terrifiant soit-il - le manifeste de Kaczynski [terroriste technophobe et écologiste américain, NDLR] et son analyse sur l’impasse de la société industrielle dans laquelle on pourrait imaginer que l’on est en train d’arriver, avait du sens aujourd’hui.
Ce qui nous a intéressé en lui, c’est ce mouvement qui consiste à s’isoler complètement de la société, à se retirer du monde dans la forêt, à limiter ses besoins au maximum pour acquérir une forme de bonheur autre. C’est cela que l’on essaie de raconter. Qu’est-ce que cette démarche ? Et comment cela s’accompagne d’un projet fou qui serait de faire cessation définitivement avec la société industrielle.
Peut-on considérer Kaczynski comme visionnaire ?
Mirabelle Rousseau, metteuse en scène : Sur la question des libertés individuelles et du contrôle, le développement de Kaczynski est assez convaincant. Ce qu’il annonçait à l’époque, par exemple sur les analyses génétiques, la société qu’il décrit, le contrôle du déplacement des individus… Oui, il nous a semblé qu’il y avait une vision horrible d’une société qui était largement en train de se réaliser.
Il est dommage que ce qui pouvait sembler être un cauchemar paranoïaque des années 70 trouve des réalisations concrètes sur le plan scientifique, industrielle, écologique… cinquante ans après.
Au-delà de ses écrits qui interrogent, Kaczynski reste un terroriste…
Mirabelle Rousseau, metteuse en scène : Nous n’essayons pas d’innocenter le personnage, en aucun cas. Dans notre spectacle, l’intégralité du texte est en bande-son enregistrée avec la voix-off de l’acteur. Sur scène, il ne nous parle pas. Il mange, il se lave, il fait du feu, il attend, il regarde le ciel, il prépare des bombes. C’est comme s’il ne voyait pas le public.
Le spectateur découvre ce personnage dans sa solitude. Et le texte est restitué dans toute sa violence. Lorsqu’il parle de la nature de manière complètement idéalisé, cela s’entend. On se dit : « Oui, il a raison. Mais mon Dieu, cela va trop loin ! » Et un regard critique se dégage.
Propos recueillis par Sylvie Moisy
Du 25 au 28 novembre au théâtre Antoine Vitez : 1 rue Simon Dereure. 01 46 70 21 55. Le 26 novembre, à 18h : « Éclairage au bar » avec l’historien Philippe Artières.