« Nous, Robert Cousin, commissaire de police de la Ville de Paris et des communes du Département de la Seine […] sommes informé par le rapport ci-annexé des inspecteurs Baraquin et Cazabat de notre commissariat, qu’une demoiselle Raynal Raymonde, domiciliée 34 rue Mirabeau à Ivry-syr-Seine, et dont le père Raynal Joseph est interné administratif, se livrerait à la propagande communiste et entretiendrait encore des relations avec des adhérentes de l’ex-groupement "Les Jeunes filles de France". Procédons à enquête. »
Ce document dactylographié sur un papier quelque peu jauni par le temps, est daté du 2 juin 1942 et porte l’estampille « État français », soit le régime de Vichy dirigé par le maréchal Pétain. Il fait partie du fonds d’archives de la Section spéciale de la Cour d’appel de Paris, jamais classé depuis son versement aux Archives nationales en février 1954. Ce fonds d’une extrême richesse - « les documents mis bout à bout correspondent à 100 mètres linéaires », selon son conservateur Christophe Bouvier - est composé de dossiers de procédure pénale et des objets saisis par la police lors des arrestations et des perquisitions de résistants (correspondances, faux papiers, supports de propagande, tracts, photos...).
Créées en août 1941, les sections spéciales ont été instituées par le gouvernement de Vichy pour juger directement et sans instruction préalable les individus arrêtés en flagrant délit d’infraction pénale résultant d’une activité communiste ou anarchiste. Plusieurs dizaines d’Ivryens ont été traduits en justice par ce tribunal d’exception, voué à appliquer la répression politique menée par le régime de Vichy. C’est cette manne historique qui fait l’objet de l’exposition « Histoire(s) de scellés - Résistance et répression à Ivry-sur-Seine (1940-1944) » proposée par le service municipal des Archives-patrimoine. Elle sera présentée au Cabinet de curiosités dans le cadre de la Semaine de la mémoire à partir du 24 janvier 2020 et pour une durée d’un an.
Faux tickets et lettres codées
L’arrêté du 24 décembre 2015 a rendu ce fonds librement communicable dans son intégralité. « Un véritable cadeau de Noël pour les chercheurs », comme le note plaisamment Christophe Bouvier des Archives nationales. Celles-ci ont contacté le service des archives d’Ivry pour l’informer de l’intérêt que ces dossiers susciteraient pour notre ville. « Ils nous renseignent avec détail à la fois sur les méthodes de la police française sous l’Occupation et sur la vie clandestine des résistants à Ivry, explique Aurélien Coutier des archives municipales. On voit ce que les policiers percevaient comme preuves d’un engagement communiste : un simple exemplaire du journal L’Humanité ou la carte d’adhésion à un club sportif réputé proche du mouvement ouvrier. Côté Résistance, on y trouve les moyens de subsistance des clandestins, comme ces faux tickets de rationnement ou les lettres codées utilisées pour transmettre des informations ou prendre rendez-vous. Et si y apparaissent des personnalités connues, qui ont pour certaines donné leurs noms à des rues d’Ivry comme Maurice Gunsbourg ou Lucien Selva, nous avons découvert des parcours de résistants que nous ignorions jusqu’à présent. »
L’émotion gagne quand on déchiffre des lettres de résistants. Ceux-ci, s’ils ne sont pas immédiatement fusillés, sont condamnés dans un premier temps à des peines relativement légères pour leurs activités de propagande. Mais un certain nombre d’entre eux périront dans les camps de concentration. C’est donc là une exposition essentielle et inédite à laquelle vous convie le service municipal des Archives-patrimoine.
Thomas Portier
Histoire(s) de scellés – Résistance et répression à Ivry-sur-Seine (1940-1944) : vernissage le 24 janvier à 18h au Cabinet de curiosités : sous-sol de la mairie. Le fonds de la Section spéciale (1940-1944), conférence-rencontre avec Christophe Bouvier des Archives nationales le 1er février à 16h à la médiathèque du Centre-ville : 152 av. Danielle Casanova. 01 56 20 25 30.
Au programme de la Semaine de la mémoire
La Semaine de la mémoire du génocide des Juifs et des Tziganes, pour la prévention des crimes contre l’humanité et la lutte contre le racisme et l’intolérance se tient du 24 janvier au 2 février à l’hôtel de ville, à la médiathèque du Centre-ville, au cinéma municipal Le Luxy, au parc départemental Maurice Thorez et dans les écoles. Commémorations, rencontres, débats, films, concerts… Avec notamment deux projections - rencontres de films documentaires à la médiathèque : « Retour à Kigali, une affaire française », de Jean-Christophe Klotz (le 28 janvier à 19h) ; et « La Fourchette », d’Anne Lainé (le 30 janvier à 19h).
Programme complet en cliquant ici
Découvrez ci-dessous en vidéo l’interview de Christophe Bouvier, des Archives nationales, qui présente le fonds d’archives de la Section spéciale de la Cour d’appel de Paris.