Il était une fois sept frères et leurs parents qui vivaient à la campagne près d’une forêt. Le benjamin de la famille, Mehdi, est promis à un destin brillant, du moins à part. Le soir de sa naissance, sa mère n’a-t-elle pas vu en rêve deux étoiles filantes s’entrechoquer ? Pour sûr, le petit fera des étincelles, mais tout ne sera pas sans heurt. Et ce, au sens propre, puisque celui dont le nom signifie en arabe « le guide éclairé par Dieu » se verra affublé par ses frères du surnom Kolizion et sa vie sera bouleversée par des accidents, des chocs.
Après Les Gardiennes en 2022 (prix Émile Augier de l’Académie française), Nasser Djemaï écrit à nouveau une manière de fable dans Kolizion, sa dernière pièce, parue elle aussi chez Actes Sud - Papiers. L’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre des quartiers d’Ivry - Centre dramatique national du Val-de-Marne (TQI) recourt là encore à un naturalisme poétique pour dépeindre cette fois les aspirations d’une famille modeste. Mais le fantastique a tôt fait de surgir.
Ce conte, comme ceux des frères Grimm, Perrault et des Mille et une nuits que le dramaturge a relus, déploie des atours atemporels. Pour autant, son propos est bien contemporain. « Le personnage de Mehdi n’a pas vraiment le choix, relate Nasser Djemaï. Il suit une prétendue voie royale, telle que notre société la met en avant. Mais l’injonction à la réussite sociale n’est pas sans conséquence. » En suivant la destinée de ce transfuge de classe, Nasser Djemaï évoque une forme de dévoiement.
Imaginaire élargi
À la faveur d’une hospitalisation, le jeune Mehdi s’éprend de littérature et élargit ainsi son imaginaire. Pourtant, une fois adulte, il fait ce qu’on attend de lui et devient ingénieur pour une entreprise fabricant des avions de chasse. Ce parcours n’est pas sans faire écho à celui de l’auteur de la pièce. « J’ai grandi dans une fratrie de six, raconte Nasser Djemaï. Ma première collision a été ma découverte de la littérature : j’ai eu l’impression de tomber fou amoureux. Cela a été une véritable révolution par rapport à ce que j’avais imaginé de mon existence, moi qui, BTS en poche, aurait pu travailler dans l’industrie. »
Pour ancrer la tragicomédie de Kolizion au niveau de l’intime, c’est un seul en scène qui sera présenté sur les planches du TQI dans une mise en scène épurée à la scénographie évocatrice. Le comédien Radouan Leflahi ne se contentera pas d’incarner Mehdi mais se fera « conteur ou magicien, comme s’il racontait l’histoire autour d’un feu », précise Nasser Djemaï. Pour que face aux sirènes trompeuses d’un succès normatif s’élève la force de l’imagination.
Thomas Portier
Kolizion de Nasser Djemaï 4 au 20 décembre au Théâtre des quartiers d’Ivry - Centre dramatique national du Val-de-Marne : Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat. 01 43 90 11 11.
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