Louise Mey : en tous genres
Autrice de polars, romans pour ados, bande dessinée, théâtre au féminisme revendiqué, Louise Mey est intervenue à la médiathèque du Centre-ville le 9 mars 2024.
Ivry Ma Ville : Pourquoi avez-vous choisi des genres littéraires peu considérés - roman noir, littérature jeunesse - pour parler de féminisme et d’égalité de genre ?
Louise Mey : C’est vrai que la littérature de genre n’est pas du tout prise au sérieux. Mais l’avantage, c’est que moins on vous prend au sérieux, plus vous êtes libre ! Les modèles que véhicule la fiction sont très importants. Ce qu’on lit enfant ou ado est tellement constructeur… ou destructeur !
Mes éditrices m’ont expliqué que « les petites filles vont lire des livres s’il y a des petits garçons sur la couverture ; les petits garçons ne vont pas lire des livres s’il n’y a que des filles sur la couverture »… Considérer le masculin comme universel est ancré dans les imaginaires. Des parents, même bien intentionnés, ne vont pas faire gaffe à ça. D’autant qu’il n’y a pas qu’eux qui élèvent les enfants : il y a l’école, Internet, la pub, les jouets, les livres…
J’estime que si on me donne une voix, que j’ai la chance d’être publiée et d’être lue - en particulier par des enfants et des ados -, j’ai une responsabilité par rapport à ce que j’écris. Du coup, si j’arrive à proposer une littérature qui puisse faire en sorte que des gens se disent qu’ils sont valables, que le genre qu’on leur a attribué n’a pas à les condamner à quoi que ce soit, ce serait quand même une belle réussite.
IMV : Hormis la fiction, vous avez écrit Chattologie, un « seule-en-scène » sur les menstruations.
L. M. : J’avais fait un post Facebook sur les règles, et le premier commentaire fut « Ah, ne parle pas de ça, c’est dégueulasse ! »… C’est incroyable : je parle d’un truc qui touche 1.8 milliard de personnes dans le monde chaque mois, et on me dit « Tais-toi, c’est dégueulasse » ! Ça m’a énervé, puis j’ai laissé mon imagination fonctionner et commencé à poser les choses par écrit… et à faire en sorte que ce soit drôle. Chattologie, c’est à la fois un sujet terrible car le pouvoir exercé sur le corps des personnes ayant des règles est quelque chose de très violent, et en même temps, si on en fait un spectacle, il faut que ce soit drôle ! C’est compliqué de parler de violences obstétricales et gynécologiques tout en plaçant des vannes !
IMV : Votre dernier roman, Petite sale, imbrique violences faites aux femmes et lutte de classe.
L. M. : J’écris sur le pouvoir, sur les dynamiques de domination. Et je réfléchis au fur et à mesure. J’essaie de progresser dans ma connaissance des thématiques liées au féminisme. Qui sont multiples, puisque c’est une manière d’analyser le monde. J’ai un peu réinventé l’eau tiède en découvrant que la lutte des classes allait avec la domination de genre. Du coup, j’ai commencé à articuler ça, et tout ce que j’essaie d’articuler finit par se retrouver dans mes histoires.
De toute façon, tout est politique : je suis née et je vis en tant que femme dans une société qui n’est pas toujours très bienveillante envers les femmes… Après, je suis aussi blanche, hétérosexuelle, valide, donc il y a plein de discriminations auxquelles j’échappe. Ma réflexion, c’est d’essayer de me décentrer. Ce n’est pas parce que je ne me fais jamais contrôler par la police qu’il n’y a pas des gamins qui se font contrôler cinq fois par jour. Il s’agit d’écouter la parole des personnes concernées. Juste écouter, déjà !
Propos recueillis par Daniel Paris-Clavel
Minibio
1982 : naissance à Paris.
2016 :Les Ravagé(e)s, son premier roman, est publié au Fleuve noir et sélectionné pour le Grand prix de littérature policière.
2017 : première de son spectacle Chattologie, courte conférence en gestion des flux, seule-en-scène sur les règles, joué par Klaire Fait Grr puis par Alice Bié.
2020 :La Deuxième femme, roman noir sur l’emprise (éd. Le Masque), est sélectionné pour le prix Landerneau du polar.
2023 :Petite sale (éd. Le Masque) est lauréat du prix Landerneau.