Elle était entière, elle qui ne goûtait guère « les hommes à peu près », comme elle disait. Tassadite Zidelkhile a marqué tous ceux qui l'ont rencontrée. Cette personnalité d'Ivry avait écrit avec son voisin Christian Billères Tatassé. Mes rêves, mes combats. De Béjaïa à Ivry-sur-Seine (L'Harmattan, 2007) suite à un portrait qu'Ivry ma ville lui avait consacré en mars 2005. Le livre retrace son parcours depuis sa naissance en 1932 à Toudja (petite Kabylie, Algérie). Elle raconte son enfance dans la région de Bougie (Béjaïa), sa vie après la mort de ses parents, son mariage « par force » en 1954. Elle arrive en France en mai 1955, où elle vit un mois dans une pièce exigüe, y élevant le premier de ses huit enfants avant d'habiter dans un hôtel boulevard de Stalingrad, puis dans des baraquements, un centre de transit...
La famille emménage enfin en 1972 dans un F5 de la cité Spinoza. C'est là qu'elle vécut jusqu'à son décès en septembre 2021. C'est là aussi où Claire Diterzi a recueilli son témoignage en vidéo, en 2020. « Je l'ai aimée tout de suite, confie la metteuse en scène autrice et musicienne. J'ai un respect infini pour cette femme qui m'a apporté beaucoup. » Cette rencontre s'inscrivait dans un cheminement personnel et créatif. La cinquantaine approchant, Claire Diterzi, née d'une mère tourangelle et d'un père kabyle « défaillant », ressentait le désir de comprendre ses racines. « J'avais aussi très envie de travailler avec la comédienne Saadia Bentaïeb, dont le père est lui aussi kabyle et la mère bretonne », explique l'artiste.
Spectacle total
Familière d'Ivry où vit une partie de sa famille et où elle s'est elle-même produite à plusieurs reprises, notamment au théâtre Antoine Vitez, Claire Diterzi y apprend l'existence de Tassadite Zidelkhile, lit son livre et finit donc par la rencontrer. « À partir de tous ces riches matériaux, il m'a fallu tricoter un spectacle entre fiction et réalité, puisqu'il ne s'agissait pas pour moi de réaliser un biopic ou un documentaire », prévient-elle. C'est donc à un « spectacle total » que nous convie Claire Diterzi. La comédienne Saadia Bentaïeb interprète une version théâtrale de Tassadite.
Dans un aller-retour permanent, le texte fait écho à la musique de deux musiciens kabyles, Hafid Djémaï (chant et mandole) et Amar Chaouï (percussions), de Rafaelle Rinaudo (harpe électrique) et de Claire Diterzi elle-même, à la guitare et au chant. Le tout est nimbé de projections de films, images, dessins... Cette « sorte de patchwork » qui lorgne du côté du conte entend rendre justice à « cette femme rayonnante ».
Thomas Portier
De Béjaïa à Ivry, du 29 au 31 mars au Théâtre des quartiers d'Ivry - CDN du Val-de-Marne : Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat. 01 43 90 11 11. theatre-quartiers-ivry.com
En marge du spectacle, deux expositions de photos de Tahar Hallaf, Invisible d'hommage et Savoir d'où on vient pour savoir où on va, sur les vieux immigrés d'Ivry, sont à voir dans la halle du TQI.